« L'idée de chef-d'œuvre, qui a fasciné tant de générations, n'est plus qu'un vague souvenir, et nous avons tendance à oublier à quel point cette idée fut « moderne » lors de son apparition au 19e siècle : elle appartenait en effet à l'ère des musées et de l'histoire de l'art. Les musées abritent encore aujourd'hui, à la manière de véritables sanctuaires, un certain nombre de chefs-d'œuvre, mais le regard que nous portons sur ceux-ci est celui du souvenir. »
(« L'art moderne à l'épreuve du mythe du chef-d'œuvre », Hans Belting).

Texte issu de Qu'est-ce qu'un chef-d'œuvre ?, ouvrage collectif sous la direction de Jean Galard et Matthias Waschek, collection Arts et artistes aux éditions Gallimard.

fermer la fenêtre

 

 

 

 

 

 

 

 

La visite du Louvre dans L'Assommoir de Zola : ou comment les chefs-d'œuvre ne le sont pas pour tout le monde.

« Gervaise demande le sujet des Noces de Cana ; c'était bête de ne pas écrire les sujets sur les cadres. Coupeau s'arrêta devant la Joconde à laquelle il trouva une ressemblance avec une de ses tantes ; boche et Bibi-la-grillade ricanaient, en se montrant du coin de l'œil les femmes nues ; les cuisses de l'Antiope surtout leur causèrent un saisissement ».

Texte issu de Qu'est-ce qu'un chef-d'œuvre ?, ouvrage collectif sous la direction de Jean Galard et Matthias Waschek, collection Arts et artistes aux éditions Gallimard.

fermer la fenêtre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Paradoxes

« On peut soutenir, d'un côté, qu'une œuvre véritable se reconnaît à sa fécondité : elle appelle l'exégèse, elle suscite le commentaire et même la description (...). De l'autre côté, l'œuvre d'art authentique est considérée comme réfractaire au discours : elle défie le commentaire et même la description. C'es la position que Belting prête à Dominique Vivant-Denon : les chefs-d'œuvre sont « les gardiens silencieux du mystère de l'art ». On n'en peut rien dire ; ils sont médusants. » (« Une question capitale pour l'esthétique », Jean Galard)
Le Monument de Flavin, justement, n'éblouit-il pas ?

Texte issu de Qu'est-ce qu'un chef-d'œuvre ?, ouvrage collectif sous la direction de Jean Galard et Matthias Waschek, collection Arts et artistes aux éditions Gallimard.

fermer la fenêtre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le mouvement Fluxus (années 1960) délite l'idée même d'œuvre

« Le mouvement Fluxus remplaça l'œuvre par le rituel de l'acte créatif en tant que tel. On espérait qu'une mise en scène libre allait de nouveau unir les différents arts dans le cadre d'une performance commune. Ainsi, le groupe Fluxus et ses happenings invitaient à échapper à la tyrannie de l'œuvre. Tandis que l'art matériel vouait un culte à l'aura de l'objet matérialisé, l'art conceptuel, en tant que libération de la nécessité de concrétiser l'idée par la réalisation d'œuvres d'art, allait promouvoir la pureté de l'idée d'art. » (« L'art moderne à l'épreuve du mythe du chef-d'œuvre » Hans Belting)

Texte issu de Qu'est-ce qu'un chef-d'œuvre ?, ouvrage collectif sous la direction de Jean Galard et Matthias Waschek, collection Arts et artistes aux éditions Gallimard.

fermer la fenêtre

 

 

 

 

 

 

 

Supports-Surfaces

Ce mouvement, qui prend forme à partir de 1969 autour d'artistes majoritairement du sud de la France (Daniel Dezeuze, Patrick Saytour, André Valensi, Claude Viallat) remet en question les moyens picturaux traditionnels pour récuser l'illusionnisme en art : le geste et l'application de la matière-peinture sont bouleversés. G. Viallat, Louis Cane, Jean-Pierre Pincemin choisissent l'usage de tampons, C. Viallat celui d'empreintes et de pigments systématiques, Noël Dolla le trempage ou encore Louis Cane et A. Valensi le pliage. Ces artistes posent la question du « parergon » en art, ou question du cadre, de la surface seule et de l'accrochage. Comment ‘faire de l'art' avec la seule surface (sans cadre) ; ou bien sans la surface mais uniquement sur un cadre ? C'est là souligner la manière dont fonctionne l'œuvre d'art, faite, aussi, de ce qui l'entoure et contribue à son « apparition » en tant que telle aux yeux du public. Le travail sur la surface traditionnelle (la toile) est récusé par D. Dezeuze au profit d'un travail sur le cadre et le châssis ; C. Viallat, lui, supprime le cadre.

fermer la fenêtre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Derrida, La vérité en peinture, Champs Flammarion, 1978
Sur le « parergon »

Derrida fait partir son analyse d'un passage de Kant, Critique du jugement : « Et même ce que l'on nomme ornements [Zierathen : déciration, agrément, enjolivement] (Parerga), c'est-à-dire ce qui n'appartient pas intrinsèquement à toute la représentation de l'objet comme sa partie intégrante mais seulement comme additif extérieur et augmente le plaisir du goût, ne le fait toutefois que par sa forme : comme les cadres (Einfassungen) des tableaux ou les vêtements des statues, ou les colonnes autour de édifices somptueux. Mais si l'ornement ne consiste pas lui-même en une belle forme, s'il est comme le cadre doré (goldene Rahmen) simplement appliqué (angebracht) pour recommander le tableau à notre assentiment par son attrait, on le nomme alors parure (Schmuck) et il fait tort à la beauté authentique. » (p.62) Kant pose de fait la question de l'objet du jugement esthétique : « Le jugement esthétique doit porter proprement sur la beauté intrinsèque, non sur les atours et les abords. Il faut donc savoir - présupposé fondamental, du fondamental- comment déterminer l'intrinsèque - l'encadré- et savoir ce qu'on exclut comme cadre et comme hors-cadre. Or, justement, le parergon (cadre, vêtement, colonne) est un « mixte de dedans et de dehors », il fait partie de l'œuvre.

A cela Louis Marin, (De la représentation, chapitre « Le cadre de la représentation »), répond : « En un mot parergon nécessaire, supplément constitutif, le cadre autonomise l'œuvre dans l'espace visible ; il met la représentation en état de présence exclusive ; il donne la juste définition des conditions de la réception visuelle et de la contemplation de la représentation comme telle. A analyser les conseils de Poussin à Chantelou [Poussin lui écrit que son tableau a besoin d'un cadre afin que « les rayons de l'œil soient retenus et non point épars »] (...) le cadre transforme le jeu varié de la diversité sensible, matériau des synthèses perceptives de recognition des choses qui les articulent par différences, en une opposition où la représentation s'identifie comme telle par exclusion du champ du regard de tout autre objet. »

fermer la fenêtre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le constructivisme

Des artistes soviétiques dans les années vingt voulurent opérer une « synthèse des arts plastiques » et intégrer à l'art temps et espace ; les critiques de l'époque leur donnèrent le nom de « constructivistes ».

D'un côté, Pevsner, Gabo et Malévitch dictent dans le Manifeste réaliste de 1920 les principes du mouvement : privilège de la ligne, de la transparence et de la profondeur sur le volume. Le groupe des « productivistes » répond quelques mois plus tard : ils condamnent l'autonomie de l'art et prônent la production d'objets avant tout utilitaires ; la production intellectuelle doit être indissociée de la production industrielle. Le constructivisme a eu une influence importante au sein du Bauhaus.

fermer la fenêtre

 

 

 

 

 

 

 

Tatlin (1885-1953) devient dans les années 1910 une des figures majeures de l'avant-garde moscovite. Il visite en 1914 l'atelier de Picasso ; ses premières expositions de peinture sont de facture néo-primitiviste. Comme la plupart des grands plasticiens russes il fait sienne, enthousiaste, la cause de la Révolution d'Octobre qui lui inspire son chef-d'œuvre et sans doute aussi celui du constructivisme : le Projet du monument à la IIIe Internationale, dont la maquette de 25 mètres de haut, exposée en 1920 à Moscou et Petrograd sera un des atouts en 1925 de l'Exposition des Arts Décoratifs à Paris. Immense tour penchée, de fer et de verre, dont les diverses parties auraient été animées de mouvements giratoires autonomes, le Monument aurait dû, sur 400 m de haut, abriter des salles d'exposition, des locaux de réunion, des restaurants, des salles de concert. Tatlin occupe dans la Russie soviétique des fonctions officielles de poids; il enseigne jusqu'en 1930 au Vhutemas de Moscou. Une grande partie de son œuvre a été perdue.

fermer la fenêtre

 

 

 

 

 

 

 

 

Minimal art

Ce mouvement apparu aux Etats-Unis en 1965 s'oppose à l'expressionnisme abstrait en prolongeant les recherches d'Albers, Barnett Newman, Reinhardt, D. Smith. Franck Stella en est l'artiste le plus représentatif. Les sculpteurs D. Judd, R. Morris, C. André, Dan Flavin, Sol Lewitt réalisent des « structures primaires » (des formes géométriques) simples caractérisées par le dépouillement le plus poussé. Les matériaux, généralement industriels, sont choisis pour leur rigueur. Dès lors le travail de l'artiste se situe plus au niveau de la conception de l'œuvre qu'au niveau de sa réalisation. La sculpture perd de sa signification en soi pour s'intégrer à l'espace et le transformer (c'est bien le cas des sculptures de lumière par Flavin). L'absence de préoccupation plastique concernant l'objet en lui-même laisse la place à l'analyse de sa fonction et ouvre la voie aux tendances conceptuelles. Artforum est le principal journal qui ait soutenu l'art minimal avec l'aide des critiques Barbara Rose et Michael Fried.

fermer la fenêtre