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L'expérience, heureusement commune, du sentiment amoureux, révèle au moins attentif de ses expérimentateurs l'insondable difficulté de son expression. Le langage n'est plus d'aucun secours à l'amant subitement muet et dépité : il ne lui offre plus que des mots éculés, salis par trop de bouches alors qu'il aspire à toucher au sublime. Qui plus est, ces mots d'ordinaire si dociles se révèlent brusquement inadéquats, inaptes à saisir le sentiment dans toute sa singularité. C'est dire qu'éprouver un sentiment amoureux, c'est faire l'expérience des apories et des limites de la langue. Et voila le pauvre amant réduit à ressasser toujours le même « je t'aime » impossible à développer, à répéter inlassablement les mêmes mots tendres et délicieusement creux, à user la langue jusqu'à la corde. « Adorable, note Barthes dans les Fragments
d'un discours amoureux, est la trace futile d'une fatigue,
qui est la fatigue du langage ». La représentation picturale du sentiment amoureux ne fonctionne
pas autrement. |