- revenir au sommaire

la mort vous va si bien :
Les Suisses morts de Christian Boltanski


3/4

Tout est vanité

Si Boltanski cherche à rendre le visiteur conscient de la mort, il tourne en dérision ceux qui croient échapper à la mort par leur oeuvre. En effet en utilisant une matérialité très signifiante (matériaux peu durables), en se délectant du bricolé, il nous rappelle en filigrane que la vie de son oeuvre, à l'image de celle des Suisses ou de celle de son créateur, est précaire. Il est clair que les objets qu'il utilise (photographies ou boîtes métalliques) s'auto-détruiront. Boltanski traite des liens entre la mémoire, la mort et la photographie pour souligner que cette dernière, simple support de papier, est, elle aussi, mortelle.

L'installation de Boltanski est donc pessimiste et dramatique par son réalisme. Il signifie l'imperfection et l'absurdité foncière de l'art et de la vie. « Je pense, disait-il en 1971, que toute activité humaine est stupide. L'activité artistique aussi est stupide, mais ça se voit plus (...) Ce qui semble beau, c'est cette démarche de savoir qu'on ne va pas réussir mais d'essayer tout de même parce qu'il y a peut-être une chance qu'on réussisse, c'est une sorte de lutte pour vivre ou de protestation ». Les Suisses morts sont bien à la fois « une protestation contre le fait de mourir et une protestation contre le fait de vivre. »

 

Cadavres exquis

La volonté de témoigner de l'échec de tout travail de restitution du passé est encore plus visible dans cette installation que dans d'autres oeuvres de l'artiste. En effet auparavant Boltanski utilisait parfois d'autres objets que la seule photographie  : "Je voudrais que, dans une salle de notre musée, soient présentés tout les éléments qui ont entouré une personne durant sa vie et qui restent après sa mort témoignage de son existence" écrit-il à un musée en 1973. On comprend que la simplicité, le minimalisme (Boltanski reconnaît avoir été influencé par le minimalisme et en particulier par les arrangements sériels de boites de Donald Judd) qui caractérisent Les Suisses morts semblent retenir l'émotion : Boltanski se donne la possibilité de "prendre la mort pour sujet mais d'une manière moins émotionnelle, plus refroidie". Cependant cette froideur même ne fait qu'accentuer la mise en relief de l'absurdité de la mort et ainsi l'émotion qui en découle. L'on comprend l'ambiguïté qui caractérise toutes les oeuvres de l'artiste : elles semblent toujours hésiter entre la retenue d'un geste qui évite toute émotion fabriquée et un acte proprement déictique qui touche presque au voyeurisme.

 

Sacrée mémoire

Comme dans des oeuvres antérieures telles que Monuments, Autels ou Reliquaires, les portraits accrochés du mur au plafond remplissent l'espace disponible et rappellent donc les ex-votos qui couvrent parfois les murs des sanctuaires. Le symbolisme religieux, bien qu'atténué, continue donc de porter l'oeuvre de Boltanski. L'artiste effectue un travail subversif de mise en doute de son propre propos et de la fonction commémorative de ce monument funéraire. Enfin, si dans Les Suisses morts, Boltanski, dont le père était juif, a voulu se détacher de la seule référence à l'holocauste, le thème de la disparition et les questions de mémoire et d'amnésie collectives sont encore présentes en filigrane. Les effets d'éclairage par lampes rappellent encore les salles d'interrogatoire et les boîtes métalliques des cellules.

page précédente - 3/4 - page suivante