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danses macabres


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L'intraitable L'art funéraire Danse macabre Le silence
Imaginer la mort : le modèle christique Vanité ? Pathos
Thanatophilie ? La photographie Mort ou vif Un couple ambigu


La photographie, nouvel art funéraire ?

Depuis L'enterrement à Ornans de Courbet, au XIXe siècle, et peut-être bien encore maintenant, c'est la représentation réaliste qui prédomine. Désormais le mort est souvent représenté sur le lit de son agonie avant que la décomposition ne le défigure, dans une attitude qui rappelle celle du gisant médiéval, et vêtu de ses plus beaux habits. Mais il aura fallu bien des détours pour représenter un mort vraiment mort.

Femme morte

Le réalisme atteint son apogée avec la photographie qui permet de conserver sans concession le souvenir du "moment" de la mort, renouant ainsi avec la tradition des masques funéraires qui, obtenus à partir d'un moulage du visage du mort, devaient être aussi ressemblants que possible pour être exposés à la place du cadavre; procédé qui révèle bien que la photographie ne sert pas seulement à conserver les traits d'un vivant, mais aussi à les fixer dans la mort , comme si celle-ci lui donnait un supplément de personnalité. L'exposition propose plusieurs exemples de ce genre, qui a joui longtemps d'une grande popularité, relayée aujourd'hui par celle du photojournalisme: enfants morts, présentés en morts-vivants; défunts sur leur lit de mort, exposés jusqu'aux années 50 dans les devantures d'échoppes; stigmatisation des traumatismes des guerres.

Bazin, Vieillard, La Roche sur Yon

Enfants morts

Avec les corps statufiés des images de Pompéi, les portraits de Boltanski, la photographie, en isolant les objets dans un cadre indépassable, "archéologise" tout ce qu'elle fragmente, pétrifie la figure sur son socle, ou un support devenu présentoir; elle s'expose comme objet d'art. Véritable "émanation du référent", comme le rappelle R. Barthes dans La chambre claire, la photographie, si elle ne permet pas de restituer le passé, le ressuscite en un étrange "ça a été" : alors, "ce que je vois, ce n'est pas un souvenir... mais le réel à l'état passé".

Giorgio Sommer, Pompéi

 

Mort ou vif

La mort est souvent une surprise et un scandale, le corps mort un tabou. C'est bien pour cette raison que l'art contemporain, avec le Body Art ou Death Body Art, s'est intéressé aux transgressions que le thème de la mort permettait de mettre en valeur. Ainsi l'américain Chris Burden n'hésita pas en 1971 à se faire tirer dessus par un de ses amis armé d'une carabine 22 long rifle dans un lieu d'exposition. Ce geste, comme les ossements que présente Sterback dans son installation Catacombes, sous-tend en effet une méditation violente sur la notion de limite : limite vie/mort, art/non art...

 

Un couple ambigu

Si la représentation de la mort conduit à utiliser ce qu'on pourrait appeler des "symboles vides", si celle-ci semble toujours "échapper", résister au sens, la figurer c'est avant tout créer une atmosphère de mort, peut-être beaucoup plus signifiante que les motifs éculés. En ce sens, Michel Guiomar, dans ses Principes d'une Esthétique de la mort analyse plusieurs catégories esthétiques qui relèvent de cette atmosphère de mort : par exemple le Crépusculaire qui est une catégorie de l'incertitude et de la solitude de l'âme, refusant la dualité mort-vie, le Lugubre qui s'oriente vers un deuil sans images nettes, sorte de hantise dans l'environnement... Le troublant crâne de Richter semble participer de ces deux catégories.

Les rapports de l'art et de la mort sont donc ambigus. L'art est d'une certaine manière lié à la mort car il permet de saisir l'insaisissable, mais il est aussi paradoxalement un moyen d'immortaliser l'éphémère. L'artiste reste vivant par son oeuvre après sa mort biologique; qu'il suffise de citer la fin du sonnet 18 de Shakespeare :

"Mais ton éternel été ne s'effacera pas
Ni ne perdra cette beauté que tu possèdes
Ni la mort ne se vantera que tu erres dans son ombre

Quand en vers éternels tu grandiras toujours :
Tant que les hommes pourront respirer ou les yeux voir
Aussi longtemps vivra ceci, et ceci te donne la vie."

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