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procédés


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Ravier Séon Jacquet, Prince, Becher

Alain Jacquet

A la charnière entre peinture et photographie se trouve l’oeuvre d’Alain Jacquet, artiste français influencé par le Pop Art, à l’origine du Mec Art (ou Mechanical Art) : l’usage dérivé de la sérigraphie, technique propre aux publicitaires du milieu du XXème siècle, permet à l’artiste de jouer sur le tramage de l’image photographique, sur les filtres de couleurs, à la manière du peintre. Sa série des Bulldozer (1973) représente pourtant un défi à l’art par le choix du multiple et du reproductible (la série) contre l’unicité du chef d’œuvre traditionnel, par le choix du motif anti - esthétique appartenant au monde industriel (le bulldozer) contre les canons classiques de la beauté, par le choix du support photographique contre la toile artisanale du peintre. Lire l'étude détaillée.

B. et H. Becher, Richard Prince

Différentes sont les œuvres des Becher et de Richard Prince, photographies brutes, non retouchées par la main de l’artiste. Simple inventaire scientifique d’architectures industrielles chez les premiers ? Purs clichés de mode chez le second ? Ces séries appartiennent, elles, à la catégorie des photographies - tableaux , à la suite des séries de Jacquet ? Pour Boltansky, « la photographie, c’est le photojournalisme ; le reste, c’est de la peinture. » Difficile de répondre quand Hilla Becher elle-même déclare que ses images de châteaux d’eau, de silos à charbon ou de chevalements de mine sont « des sortes d’anatomies comparatives appliquées aux vestiges industriels (…) inspirées de l’esprit de classification encyclopédique du XIXème siècle, avec ses taxinomies, ses catalogues comparatifs ». Les clichés purement topographiques de structures industrielles repérées en Grande-Bretagne, France, Etats-Unis, ou Allemagne, leur pays d’origine, se bornent à relever les proportions, formes, matériaux, dates de construction de ces vestiges, à la manière d’un inventaire scientifique. Au tirage, ces images sont groupées par séries. L’objectif affiché est bien de démontrer que le cliché photographique est doté du pouvoir de révéler des détails visuels que l’œil ne saisit d’ordinaire qu’après une très longue familiarité avec l’objet. Les créateurs de ces images revendiquent un but purement informatif, exempt de la moindre intention esthétique. Vœu pieux ? En effet, l’intérêt de ces clichés repose à l’évidence sur d’autres facteurs que le caractère exhaustif de l’information présentée, d’autant plus que la photographie, transposition en deux dimensions d’interactions complexes entre l’espace, le volume et l’atmosphère, demeure impuissante à appréhender l’ensemble des données physiques et psychologiques de l’expérience architecturale.

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En fait, la série des Hauts Fourneaux de 1969, par le choix de la vue frontale qui aplatit les volumes, le travail en noir et blanc, le montage en série, est, plus qu’un simple inventaire archéologique, la création d’un espace pictural poétique jouant des formes géométriques des bâtiments, à la manière du maître Eugène Atget (Arc-boutant, 1906), allant ainsi jusqu’à la quasi disparition du référent. « Tu m’as donné ta boue, et j’en ai fait de l’or », disait déjà Baudelaire dans Les Fleurs du Mal. Plus encore, les travaux de Bernd et Hilla Becher peuvent être envisagés comme la production de sculptures mentales par le médium photographique : le strict cadrage, l’organisation des volumes sans action directe sur la matière, le procédé de l’accumulation de ces séries de monuments de l’âge moderne constituent le vocabulaire d’un ordonnancement imaginaire des volumes, c’est-à-dire une sculpture mentale. Bernd et Hilla Becher obtiennent d’ailleurs le grand prix de la sculpture de la biennale de Venise en 1990, par leur seule pratique du médium photographique. Pourrait-on en dire autant de la série sans titre de Richard Prince ? Accumulation de visages de femmes à l’instar des clichés de mode qu’on pouvait voir dans la presse féminine des années 50 (cf. le premier numéro de la revue Vu), elle est en même temps un jeu d’analogies et de différences, une réflexion profonde sur les fonctions heuristiques du médium photographique. Finalement, la série en photographie serait peut-être la clé des champs, clé de l’émancipation, face au genre du photojournalisme, de cet art enfin noble.

Prince, Untitled 1, 2 & 3

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