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Richter, Schädel

Schädel - Crâne, de G.Richter.

« L'art a toujours eu un lien avec la détresse, le désespoir, le désarroi (je songe aux crucifixions du haut Moyen-Age jusqu'à Grünewald, mais aussi aux portraits de la Renaissance, à Mondrian et à Rembrandt, à Donatello et Pollack). C'est un aspect que nous négligeons souvent en extrayant les éléments formels et esthétiques pour les isoler. Nous cessons alors de voir le contenu dans la forme et considérons la forme comme un contenant (comme une belle enveloppe faite avec talent) et un complément qui vaut la peine d'être examiné. Pourtant le contenu n'a pas de forme (comme un vêtement dont on peut changer) mais est forme (qui ne peut pas être interchangeable. »
G. Richter, Notes 1982-83, coll. Ecrits d'artistes

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Une vanité contemporaine ?

Un crâne posé au milieu de nulle part comme nous autres sommes jetés dans le monde. Un crâne solitaire, assertion de notre finitude et de notre mortalité. Bien que Richter récuse toute référence au registre des vanités, il est impossible de ne pas voir dans le Schädel des réminiscences de cette lignée picturale. Si filiation il y a, elle est d'abord déniée par l'artiste - Forclusion du Nom du Père?... Quoi qu'il en soit, il faut prendre en compte toutes les ambiguïtés de la position de Richter face à ses prédécesseurs : « Les anciennes oeuvres d'art n'ont pas vieilli, elles sont actuelles. Tant que nous les aurons au sens le plus large du terme, et que nous ne les ferons pas rivaliser avec des équivalents, nous n'atteindrons ni ne dépasserons leur niveau qualitatif. Leur présence rend l'autre art nécessaire, celui que nous produisons actuellement, qui n'est ni meilleur ni pire, mais doit être différent... »

Si le tableau Schädel représente un crâne, il n'en est pas pour autant une vanité à part entière. Mais l'évidence du crâne est telle par le vide qu'il fait autour de lui que le discours des vanités se trouve paradoxalement renforcé: ce dépouillement, cette épure ne sont-ils pas évocateurs du néant entourant l'existence humaine ? Par ailleurs, on serait tenté de voir dans l'expression simplifiée à l'extrême de Schädel, une critique des vanités traditionnelles; en effet, Schädel semble indiquer de façon insolente ce qu'il omet délibérément - tandis que les anciennes vanités jouaient le jeu des apparences en faisant figurer ce que nous sommes destinés à perdre : gloire, richesse, beauté. Ici, le silence est fait sur l'inévitable dépérissement des biens terrestres et l'effondrement des apparences au profit de la représentation d'une mort continuée, intemporelle. Ce crâne qui nous montre son profil droit d'une manière presque altière, ne suggère le temps que pour mieux l'abolir : la tête de mort regarde l'avenir comme son fief, son terrain de jeu.

 

Tableau-miroir

Ainsi, le tableau de Richter refuse les séductions de la nature morte. Trouble, malaise du spectateur qui est dans l'impossibilité de se détourner d'un crâne qui l'entraîne dans un tête-à-tête angoissant, une promiscuité insupportable: ne voyons-nous pas notre reflet, sur la surface patinée de la toile, se superposer au crâne de Richter, dans une rencontre bientôt fusionnelle ? Sur le glacis de la surface, tout fait place à l'identification, au passage de la mort à la troisième personne à la mort à la première personne : le crâne est placé juste au niveau du regard, l'échelle à taille réelle font étrangement écho aux vanités du XVIIe qui étaient comme un miroir présenté au spectateur. Ici, l'artiste exploite cet effet au maximum, tout en mettant en crise le dispositif représentationnel. En effet, ce Schädel illustre particulièrement bien la réflexion de Richter sur l'illusion du représenté et l'illusion du représentant. Par rapport à ses précédents tableaux de crâne, trois évolutions sont à noter : l'apparition du reflet, le choix d'un gris métallique et celui d'un éclairage diffus qui joue avec une texture miroitante. il combine en effet un motif proche de celui la chandelle (- voir la série des Kerzen), avec le travail réalisé dans la série des Graue, ou gris, la « non-couleur » par excellence, seule susceptible de désigner l'illusion du représentant.


 

Photo-peinture

A cette neutralité chromatique s'ajoute une impression de flou très perceptible, combinée au réalisme poussé de la représentation ; on hésite alors, fasciné, une question bien légitime reste en suspens : photographie, ou peinture ?.... Au-delà de l'interrogation sur ce que peut être la peinture après l'apparition de la photographie (on peut imaginer toute l'ironie contenue dans ce défi lancé au « réalisme » photographique), le tableau de Richter attire notre attention sur la question du médium : on se peut se demander naïvement comment cela a pu être réalisé, ce qui est une façon de renouer avec la fascination suscitée par les premiers trompe-l'oeil réactualisée dans les « Vues de ville » ou les « Portraits ». On ne peut que remettre en cause la fiabilité de notre regard, ainsi que le statut dont jouit l'image, notamment photographique. Lorsqu'il peint à partir de la photo amateur et de reportage, Richter applique à la peinture un nouveau rapport au temps et à l'espace issu de la technique photographique; mais peint-il une photographie, ou prend-il une peinture en photo ? Avons-nous affaire à un spectre de peinture, ou de photographie ? La critique des apparences qui était déjà à l'oeuvre dans les vanités traditionnelles est reprise ici, pour être retournée contre la peinture dans ses rapports vertigineux avec les autres images et pour interroger les conditions mêmes d'une activité picturale aujourd'hui. Le flou général ne doit pas suggérer une image plus claire ou plus précise, le flou est précisément ce qu'il y a à voir. Richter du reste l'affirme: « Illusion ou mieux, apparence. L'apparence est le thème de toute ma vie (ce pourrait être le sujet du discours d'accueil des débutants aux Beaux-Arts) . Tout ce qui est, semble-t-il, est visible parce que nous percevons l'apparence qui en est le reflet. Rien d'autre n'est visible. » (Notes du 20 novembre 1989). Vanité vitale que la peinture...

Autoportrait Mao

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