La mise en contexte des vanités permet en partie d'éclairer
ces questions. Si la vanité fut très représentée
dans les pays du nord, il serait faux de croire comme on le fait souvent
que ce genre est étroitement lié à l'iconographie
réformée : l'Espagne et la France, traditionnellement
présentées comme des pays d'influence de la Contre
Réforme, sont très largement pourvoyeuses de Vanités.
Les catalogues les ont longtemps laissés de côté,
mais Linard, Stosskopf, Boulogne, Simon Renard de Saint-André
d'un côté, Antonio di Perreda, Juan Francisco Carrion
et même Velázquez de l'autre ont peint de nombreuses
vanités qui attestent de la vitalité d'un genre,
même non académique. Car c'est là l'autre
spécificité : ces tableaux ne sortent pas des ateliers
académiques - consacrés aux genres nobles que
sont les peintures d'histoire et les scènes religieuses
- mais s'échangent sur les marchés, et ne
connaissent qu'un usage privé. C'est un point fondamental
: ces tableaux n'entrent pas dans les églises et ne sont
donc le support d'aucune prédication active, ce qui permet
déjà de retrancher des interprétations possibles
une interprétation religieuse. Contrairement à ce qui
est dit trop souvent, ces tableaux ne peuvent en aucun cas prendre
en charge le discours chrétien de l'Ecclésiaste :
rien ne dure sur la terre, et la vie doit être consacrée
à la préparation de la mort, c'est-à-dire au
Salut. Or, si les vanités engagent vraisemblablement à
une réflexion sur la valeur des œuvres humaines, comme
le suggérerait l'accumulation d'objets fragiles
et éphémères, dans un ensemble où tout
ramène toujours au crâne, si elles montrent en un mot
la vanité des hommes, elles ne disent rien des moyens de dépasser
cette vanité. En cela, elles sont bien distinctes des tableaux
religieux, qui ne figurent jamais le terme de la vie des hommes sans
rappeler d'une manière explicite que cette fin n'est
que le début de la vie éternelle pour ceux qui auront
su vivre dans la foi et la vertu. Les vanités, elles, n'offrent
aucune assurance : elles laissent le spectateur démuni, et
invitent à la méditation sur la vanité humaine
mais sans donner le sens de cette méditation. Ici, nulle autre
certitude que la mort à venir : ce crâne, c'est
le mien. Spectacle qui serait insoutenable, s'il n'était
adouci par d'autres perspectives. La perspective métaphysique
n'étant pas de leur ressort, resterait la perpective
esthétique. En somme, les vanités ne pourraient dénoncer
la vanité qu'à condition de flatter suffisamment
la vanité de ceux qui les regardent...
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