- revenir au sommaire

introduction
filiations
A. Masson, les prétendants


3/4

Devant l'enlèvement, je ressens une tension. Je me sens moi-même mis en mouvement (pris d'é-motion). Un mot de Goethe cité par Didi-Huberman (L'image survivante, p.210) est ici éclairant : « en face de ses propres souffrances ou des souffrances étrangères, l'homme ne dispose que de trois sentiments : la peur, la terreur et la pitié, c'est-à-dire le pressentiment inquiet d'un malheur qui s'approche. » Tout est dans cette imminence : comment rendre plastiquement la frayeur de la menace actualisée mais pas encore complètement (ce regard terrorisé d'Europe) ? comment susciter chez le spectateur le sentiment d'une action qui est en train de se nouer sous ses yeux? Un travail sur les torsions et les tensions -relayé par une touche violente et épaisse- du muscle agressif pour le prédateur, du muscle résistant pour la proie, contribue à un tel effet. Goethe, devant le Laocoon, forge une théorie de la représentation de la dynamique à laquelle répondent nombre d'Enlèvements :

« Afin qu'une œuvre d'art plastique s'anime vraiment lorsqu'on la contemple, il est nécessaire de choisir un moment transitoire ; un peu plus tôt aucune partie du Tout ne doit s'être trouvée dans cette posture, peu après chaque partie doit être forcée de la quitter. » (1)

Rubens justement à l'occasion de L'Enlèvement des filles de Leucippe, passe de la représentation frontale, sur le mode de l'icône, au contrapposto, projection sur la toile de statues vues sous des angles divers. La source d'inspiration visuelle de Rubens était le célèbre Enlèvement des Sabines par Jean de Bologne sur la place de la Signoria à Florence. Cette sculpture maniériste était considérée comme un véritable tour de force, parce que juxtaposant des perspectives multiples. Rubens créa lui aussi une coordination géométrique d'axes opposés, pareils aux rayons d'une roue, version picturale du perpetuum mobile. On retrouve ce rendu de la torsion chez Masson (Les Prétendants).

(1) J.W. Goethe, 1798, « Sur Laocoon », Ecrits sur l'art, Paris, Flammarion, 1996, p.169-170, cité par G. Didi-Huberman, L'image survivante, p.207.

 

page précédente - 3/4 - page suivante