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L'enlèvement,
ce déploiement de force, cette manifestation de puissance de la
part du Mâle sur la Femme sans défense, littéralement
« enlevée » à sa propre existence, à
son propre moi, apparaît comme un schème récurrent
de l'imaginaire sexuel occidental : l'amour en tant que prédation
et possession exclusive, qui réduit la femme à la chose.
L'enlèvement ne va pas sans la violence ni sans la séquestration,
le kidnappeur étant toujours un Barbe Bleue à venir. Il
a eu en général pour auxiliaire, outil de conquête
consubstantiel et symbolique de force physique, le cheval nerveux et écumant
(Hadès enlevant
Perséphone), ou bien il est lui-même un animal,
centaure (Nessos enlevant Déjanire)
ou taureau (Zeus métamorphosé enlevant Europe). La peinture du rapt donne (du coup ?) à voir,
au total, une scène de congruence, de liaison intime. Une forme
d'harmonie. Devant l'Enlèvement
de Rubens, on a presque l'impression d'assister à une danse. Tous
les gestes convergent vers le haut, mouvement ascendant confirmé
par le cabrage du cheval et renforcé par la ligne d'horizon exceptionnellement
basse (plus des deux tiers de l'arrière-plan sont consacrés
au ciel). Les pieds de Castor et Pollux semblent obéir à
des impératifs chorégraphiques (les orteils de Pollux se
glissant très exactement entre ceux de Phoebé et le sol),
et l'on remarque une dominante de gestes parallèles et harmonieux. La représentation de l'enlèvement donne donc à voir de la chair, de la force, et un abus ; une peinture désirante et désirable, dont le socle est une expressivité et une gestuelle pathétique que l'on retrouve pratiquement inchangée d'un tableau à un autre, d'une époque à une autre, comme la Mnémosyne warbugienne pourrait le montrer, et un travail sur les dynamiques et l'entrelacement ; il faudrait dire sur, aussi, l'entrelacement des touches et des coups de pinceaux, rapt eux-mêmes de la matière picturale. page précédente - 4/4 |