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introduction
filiations
A. Masson, les prétendants

   


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Des surfaces sombres se succèdent dans la partie supérieure du tableau ; elles ressortissent à un travail de mise en relief des volumes mais aussi, semblerait-il, à une symbolique du noir comme part obscure de la psychè humaine, à l'instar de la partie équine dans le centaure chez Antoine Moine. Masson parlait à propos du viol, du « moment noir de l'érotisme ». Il a toujours été fasciné par la violence, et a fortiori la violence sexuelle, qu'il ne sépare pas du rituel, voire du sacré (« J'ai toujours pensé que l'érotisme et le sacré devraient se conjuguer » ; « Vouloir l'écarter [le viol] du monde érotique serait non seulement une tricherie mais une stupidité. »). On retrouve ce déchaînement dans Daphné (huile sur toile, 1933) (le ravisseur est de dos, la femme se débat, formant de tout son corps toute la diagonale du tableau), dans Le Massacre de 1931 qui de même présente de nombreuses figures au sein d'une vaste composition. Ces étreintes charnelles sont aussi celles des Jeux de centaures, de Pasiphaé ou de La Métamorphose des amants (huile sur toile, 1938), que l'on trouve très souvent associées chez Masson avec l'hybride (satyre, centaure, accouplement, fusion des amants qui aboutit à du végétal...).

Les personnages saturent l'espace du tableau ; l'impression globale est celle d'un amas inextricable, comme Masson aime le faire, fidèle à son idée de « tissage » ; comme dans L'enlèvement des Sabines de David : tout se passe comme si A. Masson avait stylisé le motif, le quintessenciant en quelques figures, quelques mouvements qui disent bien la violence et la confusion. Le fait qu'il n'y ait ni horizon ni réelle perspective rend plus immédiatement présente la scène; on se trouve inclus dans la mêlée, entre les corps et leurs vagues d'ombres, alors que chez David on observe une scène connue et reconnue, un tableau d'histoire dans lequel le regard peut se promener, choisir des anecdotes, voire, analyser. Il reste que ces prétendants sont peut-être ceux de Pénélope : foule incessante qui se presse auprès de l'épouse abandonnée d'Ulysse, débridée et avide... En ce cas la scène serait plus proche de l'idée de poursuite, qui hante également l'imaginaire et le pinceau de Masson à l'époque. La « prétention » serait au carrefour de la poursuite et de l'enlèvement, puisque la cible, statique, est en quelque sorte déjà atteinte : on l'assaille (donc la poursuite est plutôt siège), mais on ne l'emporte pas (l'enlèvement n'est pas consommé).

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