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filiations

 

Si la Joconde de Serge III renvoie explicitement au geste haineux de l'iconoclaste, qui occultait le visible représentant l'invisible par un blanchiment de la figure à la chaux, Comment prendre un tableau par le derrière d'Erik Dietman et La Joconde est dans les escaliers de Filliou procèdent différemment. Pour ainsi dire, la rhétorique de l'iconoclasme s'enrichit de nouveaux moyens d'expression.

Serge III, Joconde Erik Dietman, Comment prendre un tableau par le derrière (recto et verso...) Filliou, La Joconde est dans les escaliers

 

EXIT
Dans l'installation de Filliou, le geste iconoclaste est radicalement ironique : sur scène, un balai, un seau, un écriteau : où est passée la Joconde ? Depuis le temps qu'elle hante nos mémoires, elle serait donc devenue concierge ?...Filliou substitue, à une mutilation, une disparition : l'œuvre marque le constat d'une absence patente, une désaffection du sujet du tableau, une ouverture sur le prosaïsme des coulisses ménagers de l'atelier du peintre ; dégradée, expulsée, la diva des musées est stigmatisée dans sa fonction d'icône de la beauté. Dans une impitoyable opération de nettoyage, c'est, avec Mona Lisa, le culte du chef d'œuvre qui est ici balayé. Après tout, disait Filliou, « l'art est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art. »

Circulez, y a quelque chose à voir !
Comment prendre un tableau par le derrière propose une subversion de l'art -ici, de la peinture - avec les moyens même de la picturalité -la toile et la peinture. D'abord, l'artiste construit une œuvre « recto-verso » : exit le dispositif du tableau -fenêtre, ce cadre accroché au mur qui piège notre regard. Monumentale, décadrée, suspendue, l'œuvre flotte dans l'espace de l'exposition, nous obligeant, pour la contempler, à une déambulation qui ne nous permettra jamais de la saisir dans sa totalité.

Mais que voyons-nous sur ces toiles grossières qui sont accolées dos-à-dos ? De la peinture certes ; des couleurs franches ou mélangées, jetées, posées, et toujours relayées par des formes naïves, géométriques ou figuratives -de loin en loin tracés au trait.

Mais aussi des choses -tasses, corde à sauter, soulier rouge, textiles collés... tout un bazar d'objets hétéroclites- des plumes légères et colorées à l'inquiétante faux suspendue : comme si, dans ce théâtre plastique, Dietman avait voulu rassembler le futile et le terrible, la vie et la mort.

Composée d'entités multiples, de toiles peintes et aussi d'assemblages, l'œuvre est hétérogène et par là même déstabilisante, iconoclaste, en cela qu'elle invite davantage à s'interroger sur la nature de l'art et de ses limites, qu'à contempler une image ou une représentation.

Icono-calembour
Et puis voici que certaines images nous en rappellent d'autres : autour du dos, ou du derrière de la belle Cribleuse de blé empruntée au tableau de Courbet. Dietman n'a-t-il pas convoqué d'autres fantômes de l'art : Citations ? Hommages ? Filiations ?

Enfin, nous découvrons des mots, des textes (lettres peintes, écriteaux placardés sur la toile) et une invitation à jouer avec des mots, à faire jouer les mots avec les images : NOIR-BLANC, ou le B-A BA de l'art de peindre, porté en somme à une absolue dignité l'abstraction à l'heure du monochrome. Mais voici que déjà NOIR s'annule en RENOIR - gentiment agrémenté d'impressionnistes touches pastel - puis en GRIS - certainement Juan Gris, le peintre cubiste... Et, pour peu que nous nous donnions la peine de déchiffrer les inscriptions multiples, la leçon continuera avec cette œuvre-mode d'emploi : comment prendre un tableau (l'histoire de l'art ?) par le derrière -invitation pour le moins irrévérencieuse et salace à une pratique des œuvres en général, et à celle-ci en particulier, comme... sodomie ?

En somme, l'iconoclasme moderne ne va pas sans une part d'affectation : ici certes pas de mélancolie à la manière de Rothko, mais une tendance à l'ironie, à la dérision, voire à l'insolence.