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musiques

« Que ceux qui ont des oreilles »

Le chant grégorien n'est pas concevable, pour les bénédictins qui le pratiquent, indépendamment d'un culte. C'est une manière de prier en harmonie avec les frères de la communauté, et avec les pierres de l'abbatiale conçue pour que résonnent les voix. Ce n'est pas une performance artistique. Comme pour l'icône médiévale, ce qui accomplit l'œuvre n'est pas le plaisir esthétique du spectateur ou de l'exécutant, mais la prière qu'elle supporte.

 

L'essentiel de l'œuvre est donc hors de l'œuvre, dans le cœur du fidèle. L'art classique revient là-dessus, en présentant des œuvres conçues en vue d'être formellement parfaites, et dont la beauté est le reflet de la divinité. On assiste, dans l'église ou dans la salle de concert, à la belle performance. C'est plus tard, en s'approchant du XXe de nouveau que le « minimalisme » grégorien revient à la mode. Duruflé écrit en 1947 son Requiem en reprenant la structure, la mélodie, et la technique de chant des requiems anciens, parachevant le canevas premier par l'instrumentation et la plus grande variété des chœurs. Il pallie ainsi l'aridité du grégorien, conservant le recueillement qui l'habite, faisant « s'incarner » dans la musique même la beauté difficile de l'original. Schématiquement (et violemment), passant du Requiem de Mozart à celui de Duruflé, on passe du sentiment religieux (et de l'expérience existentielle de Mozart lui-même confronté à la mort) à l'expérience religieuse véhiculée à travers les âges par la musique des moines et réinterprétée par un artiste à sa propre façon.

Ultime et récent témoignage que l'expression artistique du sentiment religieux en Europe passe par la référence au passé : la messe Lumières de Jacques Loussier, sous-titrée «  Messe baroque du XXIe siècle  », composée en 1987. Celui qui a porté Bach au jazz (avec son trio Play Bach) signe là une composition surprenante, parfois en explicite référence à Bach, toujours avec un traitement moderne.