- revenir au sommaire

moderne et contemporain

 

La chambre de Giacometti vers Rothko vers Soulages


Extraits de Jean Genet, L'atelier d'Alberto Giacometti

« Il n'est pas à la beauté d'autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu'il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde. Il y a donc loin de cet art à ce qu'on nomme le misérabilisme. L'art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu'elle les illumine. »

« Quand apparût brusquement - car la niche est coupée net, au ras du mur - sous la lumière verte Osiris, j'eus peur. Mes yeux, naturellement, furent les premiers renseignés ? Non. Mes épaules d'abord, et ma nuque qu'écrasait une main, ou une masse qui m'obligeait à m'enfoncer dans les millénaires égyptiens et, mentalement, à me courber, et davantage même, à me ratatiner devant cette petite statue au regard et au sourire durs. Il s'agissait bien d'un dieu. De celui de l'inexorable. (Je parle, on s'en doute peut-être, de la statue d'Osiris, debout, dans la crypte du Louvre.) J'avais peur parce qu'il s'agissait, sans erreur possible, d'un dieu. Certaines statues de Giacometti me causent une émotion bien proche de cette terreur, et une fascination presque aussi grande. »

« Je dis à Giacometti :
MOI : Il faut avoir le cœur bien accroché pour garder une de vos statues chez soi.
LUI : Pourquoi ?
J'hésite à répondre. Ma phrase va le faire se foutre de moi.
MOI : Une de vos statues dans une chambre, et la chambre est un temple.
Il paraît un peu déconcerté.
LUI : Et vous croyez que c'est bien ?
MOI : Je ne sais pas. Et vous, vous croyez que c'est bien ?... »

 

Alberto Giacometti, La forêt, 1950