La redécouverte des icônes en Russie au XIXème
siècle réactualise la question iconoclaste, source d'inspiration
de l'art moderne. La peinture abstraite de Kandinsky, expérimentation
d'une beauté sans critère assignable, en contact avec
le fond originel du monde, est le fruit de la tension du double héritage
russe de l'iconoclasme et de l'art de l'icône comme ascèse
de l'image. Le suprématisme de Malevitch participe d'un iconoclasme
plus prononcé. En effet il prétend revenir à
« l'interdit de la figuration », qu'a transgressé
l'homme, incapable d'imaginer Dieu comme repos et non-pensée,
c'est-à-dire autrement que sous une forme anthropomorphique.
Rothko accomplit de son côté, vers la fin des années
40, un effacement progressif de la figure -sorte d'assomption paradoxale
de la figure. Ses rectangles de pure couleur sur champs colorés
sont un refus de la peinture comme représentation : « utiliser
la représentation humaine, c'était la mutiler »
confie-t-il. Ainsi, l'abstraction historique peut-elle être
perçue comme une crise iconoclaste dans l'histoire de l'art
occidental ; elle serait une quête mélancolique de la
vérité de l'image dans un monde sans Dieu, exigeant
de renoncer au point de vue mimétique et illusionniste, au
tableau comme fenêtre, à la perspective et à la
figuration même.
L'iconoclasme dans l'art moderne et contemporain ne se limite pas
à cette mystique de la présence invisible et peut se
manifester par des pratiques plastiques radicalement subversives.
Le ready-made et la citation enrichissent ainsi le vocabulaire du
geste iconoclaste en démontant et en désacralisant les
grandes images institutionnalisées (la Joconde devient alors
une victime privilégiée...). De Duchamp aux artistes
post-modernes, en passant par Fluxus, il s'agit de « promouvoir
la REALITE DU NON-ART », de procéder à un nivellement
entre œuvres, chefs d'oeuvre et produits de notre quotidien,
pour puiser dans un vivier commun et non hiérarchisé
de références.
En somme, des forces iconoclastes travaillent de l'intérieur
l'histoire de l'art et la pratique de la représentation, et
poussent la figuration dans ses dernières limites, sans jamais
l'abolir complètement. Et, tant d'un point de vue plastique
que religieux, le refus de l'imperfection de l'image se combine souvent
avec une tentation du dogmatisme, du schisme, et de la radicalité
(- de la constitution d'églises hétérodoxes
aux manifestes insolents et subversifs). Sacralisation mélancolique
du deuil de l'image ou, au contraire, désacralisation violente
du pouvoir de l'image et évaporation de son aura par une dérision
post-moderne, le geste iconoclaste se décline de deux manières
sinon paradoxales, du moins opposées, dans une tension irrésolue
entre visible et invisible.
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