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P. Soulages, Sans titre,
76,5 x 45,5, 1948


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Sans titre Noir Soulages et le sentiment religieux Voir

Pourquoi choisir l'œuvre de Pierre Soulages comme exemple d'incarnation contemporaine du sentiment religieux ? Provocation ? Réduction mal documentée, qui sous prétexte que Soulages a conçu des vitraux, ne voit plus dans son œuvre que du mobilier d'église ? Ou artifice intellectuel identifiant le non-figuratif au spiritualo-sacré ?

Soulages évite les rapprochements hâtifs et factices entre l'artiste et son œuvre. Il ne fait aucune référence à la foi dans ses entretiens. Qu'il se soit toujours senti familier de l'art roman ne suffit pas pour faire de lui un peintre religieux. En somme, cette œuvre réfractaire à toutes les étiquettes se passera volontiers de celle-ci aussi.

Il faut aborder la question différemment. Dans le paysage du XXe siècle (malgré quelques connivences avec d'autres peintres), l'art de Soulages est autre. Il néglige les problématiques habituelles (figuration ou abstraction, symboles et interprétations...) tant il semble que Soulages ne fait absolument pas le même travail que ses congénères. Comme le dit B. Ceysson, « Le tableau est affirmé, confirmé plutôt dans sa réalité d'objet. Il ne reçoit pas la lumière d'une source extérieure, il contient sa propre lumière qui émane de sa profondeur matérielle et irradie le spectateur. » Objet autre, présence autre, lumière autre, une œuvre de Soulages demande aussi une intentionnalité différente.

Quelle est cette intentionnalité ? Que faut-il attendre, que doit-on faire devant une telle œuvre ? On a caractérisé l'icône comme étant une œuvre vivante, support d'une expérience, mais dont la « vie » ne vient pas de ses propres qualités esthétiques. Ce mot de « vie », Soulages l'emploie aussi en parlant de ses peintures. Le tableau de Soulages a cela de commun avec l'œuvre religieuse qu'il ne peut se réduire à une approche esthétique. Il exige une participation du spectateur, sans quoi le tableau ne s'anime pas et le spectateur passe à côté de l'essentiel. On comprend alors mieux ce qui a frappé Soulages dans les églises romanes, et qu'il a cherché à reproduire à sa façon dans ses œuvres. Une présence, une lumière qui émanent de l'œuvre d'art, qui font que celle-ci requiert la participation active de celui qui regarde, « objet devant lequel je vis d'une manière intense, » dit Soulages.

Il ne s'agit donc plus de savoir si Soulages, « c'est ou non de l'art religieux ». On est simplement conduit à remarquer que les œuvres de Pierre Soulages sont artistiquement religieuses, en ce sens qu'elles appellent une attitude caractéristique, et qu'elles rappellent ces lieux de construction de la lumière que sont les édifices romans.

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